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L'ordinaire descente

1 février 2006

L’ordinaire descente. Les visages des gens se

L’ordinaire descente.

Les visages des gens se sont subitement métamorphosés en rat, recherchant la moindre opportunité pour assouvir un désir qui leur est propre. Ils rôdent, l’œil méfiant, à l’affût, leurs petites pattes gigotent, prête a attraper la première chose qui leur viendra. Il est question de leur survie propre. Seule La Nourriture leur importe. L’atmosphère transpire une animosité grandissante, suinte la crainte, dégueule l’inconscience brutale et primaire. Je fuis aux premiers symptômes de ma métamorphose.

J’utilise la téléportation alcoolique en aspergeant mon corps entier de liqueur sèche.

Mon chez moi se dessine rapidement au coin de deux rues parallèles qui se croisent.

Il fait froid.

Ma clef gigote d’elle-même dans la serrure. Je remarque que j’avais, une fois de plus, oublié ma porte. Un des fauteuils du salon glisse jusqu’à moi, comme s’il avait senti que mon état nécessitait une once d’aide et de sympathie, pas comme ces saloperies de radiateurs qui depuis quatre jours refusent de travailler. Depuis qu’ils se sont syndicalisés je lutte à essayer de les convaincre de se mettre à la tâche. Je souffle un coup pour évaluer la température, un nuage compact sort de mon gosier.

Ouais, ça, il fait vraiment froid.

Un bruit répugnant trouble ma métamorphose en thermomètre. Mon sourcil droit se dresse sans que je ne lui en donne l’ordre, je crois qu’il s’inquiète de ce que je viens de voir. De longs filets visqueux et grisés descendent lentement de mon plafond.

Etrangement je ne suis pas trop surpris. Malgré leur aspect répulsif j’attends qu’ils arrivent jusqu’à moi, simplement par curiosité. Leur contact, quoique vomitif au premier abord me réconforte peu à peu par la douce chaleur qu’ils m’apportent. Je reste là, assis, me laissant recouvrir, sans bouger ne serait-ce qu’un cil. Après une heure d’inertie totale, ma conscience me réveille en me secouant violemment. Il faut que je sorte, il faut que je me ravitaille si je ne veux pas crever ici, de froid, ou étouffé par La Substance. J’entame un retour à la civilisation par le biais d’un escalier dont la pente abrupte manque de me forcer au suicide involontaire. La Substance contribue à me retenir, et éviter ainsi les marches criminelles d’exécuter leur méfait. Je la traîne encore jusqu’au Night Shop situé a deux numéros de l’immeuble. Le « paki » semble indifférent a mon aspect physique trop occupé a regarder une comédie indienne en retransmission spontanée via connexion satellitaire intersidérale sur un téléviseur uni touche. Je l’observe glisser mollement deux jupiler au fond d’un sac en plastique. Nous nous quittons sans un regard, laissant libre cours à une routine platonique.

Je retourne chez moi. Au moment de passer le palier de la porte de l’immeuble, j’entends un cri étrange. Je baisse les yeux et constate avec stupeur que j’ai manqué d’écraser le dentier de mon propriétaire. Je le reconnaîtrais entre mille, à son ornement particulier en tabac assimilé qui forme sur ses dents du haut une barre horizontale jaunâtre presque parfaite. Il me crache un peu dessus en baragouinant quelques mots d’une origine syntaxique qui m’est inconnue. Sûrement un mélange de portugais, d’arabe et de français. Je l’ignore et passe devant lui comme si de rien n’était, laissant la distance effacer le flot incessant de ses paroles insensées.

Arrivé au deuxième étage, je constate qu’il a encore débranché la rallonge que je fais descendre du troisième afin que je puisse bénéficier d’un peu d’électricité. Je rétablis le contact avec la modernité. C’est alors que j’entend un terrible boucan qui semble provenir d’en haut. Oui, ça vient de chez moi. J’entre en fracas dans mon appartement. C’est la guerre. Mon four électrique, devenu accessoirement chauffage et allume cigare depuis le début de la grève des radiateurs est en prise avec le froid, luttant tout ce qu’il peut pour vaincre. Le combat est de l’ordre d’un réel acharnement, tandis que je réalise que le plafond a accéléré son obscène production. Il devient désormais compliqué d’évoluer dans mon salon. Je glisse sur la pellicule grandissante que La Substance a répandue sur tout le sol de l’appartement. Le choc sur le carrelage est froid et brutal. L’espace d’une seconde j’ai envie de gueuler sur la terre entière, mais retiens mon souffle, remarquant avec satisfaction que La Substance me procure plus encore de chaleur et de plaisir qu’auparavant. Je commence à ressentir une sorte de bien être inexplicable tandis que La Substance entre par tous mes orifices, je commence à doucement gémir de plaisir, à me laisser aller dans une sensation extrême proche de l’orgasme, en proie à une situation que je ne contrôle plus.

Un lourd grondement me sort de ma transe, interrompu par des crissements métalliques aigus. De courts mais intenses éclairs bleutés viennent éclairer par intermittence les murs de la pièce dès que le son devient trop aigu. J’en déduis que ce doit être le tram qui après quelques heures de repos a bien voulu recommencer son éternel manège. Il doit être entre cinq et six heures, et mon plafond a arrêté de dégueuler.

Bon, il faut que je bouge. J’écrase mon stylo dans le cendrier et prends la porte avec moi.

Elle est lourde, mais je préfère de loin la garder que de la savoir se la couler douce sur mon palier. Elle pourra m’être utile. D’ailleurs elle l’est déjà ; le ciel bruxellois a décidé de faire ce qu’il sait le mieux, à savoir son fameux crachin. Ca rentre partout, on a beau être couvert, cette pluie tombe à l’horizontale. Et puis elle est gelée. J’entame, armé de ma porte, un duel digne d'une comédie contemporaine avec elle.

Lentement, les pavés deviennent glissants. Les reflets s’en donnent à cœur joie, en rebondissant de pierre en pierre, tandis qu’un brouillard consistant viens compléter le tableau, conférant aux rues désertes une ambiance ouatée et mystérieuse.

J’avance, recouvert par la lumière jaune crasseuse des lampes à sodium qui peinent à remplacer la nuit, interrompue, ici et là, par les tonalités vertes et rouges d’une surpopulation de feux de signalisation. Un tram vide rugit en sortant d’une rue, avertissant qu’il ne laissera aucune chance à ceux qui se trouveront sur son passage.

Au fur et à mesure, ma mémoire efface l’instant d’avant. Je crois qu’elle veut m’aider.

En effet, le trajet ne m’a jamais semblé aussi court. L’Hôtel, armé de ses dix étages, semble sortir du brouillard comme la proue d’un transatlantique. La porte d’entrée arrive jusqu’à moi dans un travelling très rapide, et s’arrête brusquement. J’interpelle l’immeuble en contre plongée :

- C’est moi !!

- Qui ça moi ?

- Bah… Moi !

- Ok, entres !

Une clef me tombe du ciel, enrobée d’une chaussette. La porte s’ouvre, laissant échapper dans ma direction les chaudes effluves aux relents de vieilli et d’humidité si chères à l’endroit. Je laisse ma porte en compagnie de celle que je viens d’ouvrir et entame l’ascension vers le sommet par un escalier qui rajoute un étage à chaque palier. Quelques heures et une dizaine de pause plus tard je me retrouve face à la porte du dixième dont les coups et les griffures marquent quelques événements obscurs d’un passé qui m’est inconnu. Elle s’ouvre sur un couloir miné d’autres portes, portant des cicatrices similaires. Une fille rose passe devant moi sans prêter attention, et disparaît par une de celles du fond. Je la suis. J’arrive dans une des chambres de l’hôtel, et tombe sur huit personnes étendues sur une multitude de coussins. Je reconnais avec grand étonnement le Professeur Merlin, que je rencontrais de temps à autre sur paris.

- Mais qu’est-ce que tu fous ici, à Bruxelles, à neuf heures du mat’ ? dis-je.

- Bah la même chose que toi. Je fuis la France et sa prolifération paranoïaque.

Le Professeur impose dans la pièce. Il a de grandes lunettes carrées, et un visage qui porte les marques du temps qu’il n’a pas vécu. L’intonation de sa voix, l’inflexibilité de son regarde grossi par ses verres lui confèrent une assurance de vieux druide.

Il sort de derrière lui une grosse malle en bois, noircie par l’usure.

Il ouvre, et une panoplie de fioles et autres outils inconnus s’offre à mes yeux.

Il prend une des fioles, prononce quelques phrases étranges, et lance le contenu en l’air.

D’abord à l’état liquide, il se divise en milliers de gouttelettes, qui elles-mêmes semblent cuire en suspension avant de se séparer en d’autres milliers de particules solides.

Je me retrouve avec les autres, étendu sur le dos, à contempler cette valse peu ordinaire. Le Professeur prend ensuite un flacon et deux autres plats, puis répète la même opération. Le spectacle s’illumine soudain de millions de couleurs. L’ensemble se met à former un tourbillon qui s’accélère et grandit de plus en plus.

Nous rigolons comme des gosses devant la beauté d’un tour de magie extraordinaire.

L’événement prend plus d’ampleur encore, s’étend hors de l’Hôtel, et fait disparaître la ville entière sur son passage. Stupéfaits, je hisse ma tête par la fenêtre pour constater l’ampleur.

Tout a disparu !

Seul le dixième est resté intact, en suspension, à son emplacement d’origine.

J’ai un peu peur.

Ca n’a pas de sens.

Le rire des autres interrompt mes pensées. Je m’allonge avec eux. Seul la fille en rose paraît distante, réfugiée dans un des coins de la pièce. Soudain, l’un des types, jeune, tente de créer son effet en attirant notre attention. Il manque son coup et bascule dans le vide pour s’écraser dix étages plus bas. Les autres rient de plus belle. Devant le contraste insensé de la scène je les suis dans un éclat de rire interminable.

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